Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself.
Je tiens Mrs Dalloway pour l’un des plus grands romans non seulement du XXème siècle, mais de toute l’histoire de la littérature. C’est un roman que j’ai eu la chance d’étudier en littérature comparée lorsque je passais l’agrégation, et avec qui j’ai tissé un lien intime. Pour cette raison, je voue également un culte au film de Stephen Daldry, The Hours, adapté du roman éponyme de Michael Cunningman, qui reprend lui-même le titre que Virginia Woolf voulait donner à l’origine à son propre roman.
Trois femmes. Trois époques. Trois destins, liés par un roman. En 1923, Virginia Woolf, qui s’ennuie à Richmond où son mari l’a emmenée vivre car l’agitation londonienne lui est néfaste, commence la rédaction de Mrs Dalloway. En 1951, dans la banlieue de Los Angeles, Laura Brown, femme au foyer enceinte de son deuxième enfant, s’ennuie à périr dans sa vie et songe à y mettre fin ; elle lit Mrs Dalloway. En 2001, à New-York, Clarissa Vaughan organise une réception pour son ami poète Richard, atteint du Sida ; elle est Mrs Dalloway.
Ce film est un immense chef-d’oeuvre dont je pourrais parler des heures, une variation sur Mrs Dalloway qui parvient à restituer l’essence du roman auquel il est étonnamment fidèle dans l’esprit, et à l’enrichir encore, en laissant croître ce qui était en germe dans le texte. Comme dans l’oeuvre de Woolf, les vies des différents personnages se rejoignent dans les profondeurs de la conscience, les "grottes" comme les appelait Virginia Woolf, et tissent entre elles des liens symboliques et poétiques à travers différents motifs comme les fleurs, l’eau, ou, par un effet saisissant de mise en abyme, le roman lui même, auquel il est fait référence de manière plus ou moins visible à chaque scène. Comme le roman, le film se concentre sur une journée dans la vie de ces trois femmes, mais une journée qui concentre une vie entière, l’éclaire ou la transforme. Toutes les trois sont malheureuses et prisonnières de leur vie : Virginia de l’amour de son mari qui pense sincèrement faire son bien en la forçant à vivre à la campagne alors qu’elle y meurt à petit feu ; Laura d’une vie sans intérêt de mère au foyer pour laquelle elle n’est pas faite ; Clarissa du manque de profondeur. C’est une exploration du contraste entre la vie et la mort, des choix qui s’offrent à nous, et de l’extraordinaire richesse de la littérature. Les trois actrice sont absolument exceptionnelles, en particulier Kidman, totalement méconnaissable en Virginia Woolf, et qui est dans ce film au sommet de son talent (le rôle lui a d’ailleurs valu un Oscar).
Mon seul reproche finalement est celui de la structure générale : le film s’ouvre et se ferme sur le suicide de Virginia Woolf, qui a lieu en 1941, or le film donne l’impression qu’il serait contemporain de l’achèvement de Mrs Dalloway, ce qui n’est pas le cas.
Un film à voir absolument donc, et j’aurais une question : j’aimerais savoir ce que ceux qui ont vu le film sans avoir lu Mrs Dalloway en ont pensé et ce qu’ils en ont perçu. Pour moi le film est totalement consubstantiel au roman de Woolf dont il constitue un hommage, et j’ai du mal à imaginer qu’on puisse le percevoir indépendamment…
The Hours
Stephen DALDRY (d’après un roman de Michael CUNNINGHAM)
Etats-Unis, 2002
Classé dans:Elle regarde... des films Tagged: cinema, femme, Hours, Mrs Dalloway, Virginia Woolf
