Vendredi dernier, nous sommes allés avec mes élèves assister à la dernière projection de l’opération "lycéens au cinéma". Il s’agissait d’une série de courts métrages interrogeant les rapports du documentaire et de la fiction. Parmi des films de qualité diverse était programmé un petit film de huit minutes qui m’a tout simplement bouleversée : Nue, de Catherine Bernstein.
Daté de 2008, ce film s’inscrit dans une série de courts-métrages produite par Arte et visant à questionner la représentation du corps au cinéma. Fait rare, la réalisatrice se met elle-même en scène dans ce qui est à la fois un documentaire et une autofiction. Sous l’oeil de la caméra tenue par sa fille, à qui elle s’adresse, elle est allongée, nue, et raconte son corps par fragments, par morceau. Ses cuisses, ses seins, ses fesses, ses sourcils, ses cicatrices. Un corps vieillissant, loin d’être parfait, mais qui apparaît ici magnifique, parce qu’il est aimé, et parce qu’il a une histoire, qu’il a vécu, qu’il a donné la vie.
L’enjeu est ici le gouffre entre le corps réel et le corps sublimé, magnifié, parfait que nous montre la publicité. Mais aussi le gouffre entre la vision féminine du corps et la vision masculine : la femme, comme le fait le personnage de Brigitte Bardot dans Le Mépris, voit son corps par fragments : ses sourcils trop épais, ses cuisses trop larges, son ventre qui n’est plus plat depuis sa maternité. L’homme, lui, voit le corps dans son ensemble, l’aime entièrement, et n’en voit pas les défauts qui pourtant obsèdent la femme. Comme Baudelaire dans son poème "tout entière" :
"Le Démon, dans ma chambre haute,
Ce matin est venu me voir,
Et, tâchant à me prendre en faute,
Me dit : "Je voudrais bien savoir
Parmi toutes les belles choses
Dont est fait son enchantement,
Parmi les objets noirs ou roses
Qui composent son corps charmant,
Quel est le plus doux."– O mon âme !
Tu répondis à l’Abhorré :
"Puisqu’en Elle tout est dictame
Rien ne peut être préféré.
Lorsque tout me ravit, j’ignore
Si quelque chose me séduit.
Elle éblouit comme l’Aurore
Et console comme la Nuit ;
Et l’harmonie est trop exquise,
Qui gouverne tout son beau corps,
Pour que l’impuissante analyse
En note les nombreux accords.
O métamorphose mystique
De tous mes sens fondus en un !
Son haleine fait la musique,
Comme sa voix fait le parfum!"
Jouant d’une profondeur de champ très réduite qui crée un halo flou enveloppant le corps et de couleurs très douces, ce film n’est jamais impudique, jamais voyeur, jamais vulgaire malgré la nudité assumée, c’est un enchantement poétique et en même temps un vrai travail de réflexion et d’acceptation de soi. J’en ai été très touchée, et quelques filles de la classe sont venues m’en parler ensuite : d’abord déconcertées qu’on leur montre ça, elles ont ensuite été émues par cette manière à la fois pudique et sincère de se mettre en scène, et à un âge où le corps devient souvent un ennemi, je trouve cela particulièrement important !
Nue
Catherine BERNSTEIN
Paris-Brest Productions, France, 2008
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